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 (Histoire) Couleur de mer

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AuteurMessage
Jaellia
Petite Graine



Nombre de messages : 2
Age : 28
Date d'inscription : 16/07/2011

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MessageSujet: (Histoire) Couleur de mer   (Histoire) Couleur de mer EmptySam 16 Juil 2011, 21:52

Couleur de mer



Prologue

À nouveau, un cri de douleur inhumain et terriblement réel résonna longuement. Un corbeau s’envola de son perchoir en croassant, comme pour prédire une mort à venir. Puis d’un seul coup, comme si rien n’était arrivé, le silence se fit, toujours plus pesant. Dans le champ entourant la maisonnette, le vent fit onduler paresseusement les hautes tiges de blé, tout en soufflant contre les carreaux brisés de l’habitation. Tout, dans le paysage environnant, donnait l’impression que l’endroit était abandonné depuis bien des décennies. La porte arrachée de ses gonds, la peinture écaillée, la quasi-totalité des vitres brisées. Pourtant, il était impossible de s’y méprendre bien longtemps. Car de nouveau, un cri de souffrance pur et simple fit trembler la maisonnette en entier, encore plus intensément que la fois précédente.

Le front et le dos ruisselant de sueur, Maëda tenta vainement de reprendre son souffle, la respiration saccadé et irrégulière. Elle avait l’impression d’être une simple plaie ouverte, saignant de tous les endroits possibles, le corps brulé et l’esprit cruellement torturé. Au départ, les cordes qui lui sciaient les poignets et les chevilles la faisaient souffrir; mais comme l’avait prédit son bourreau, désormais, elle ne les sentait même plus. Se faisant, ce dernier s’approcha d’elle et lui souleva délicatement le menton pour voir son visage, ravagé par des larmes autant de souffrance que de désespoir. Car dans cette maisonnette délabrée et perdu en pleine campagne, l’odeur du sang et la peur était omniprésent, empêchant ne serait-ce qu’une once d’espoir d’atteindre ses occupants.

Lentement, Maëda releva les yeux vers son bourreau, et croisa son regard carnassier. Elle soutint son regard un long moment, puis il finit par détourner les yeux, soudain mal à l’aise. Il s’éloigna d’elle à pas feutré, lui faisant dos. Même si elle ne le voyait pas, elle savait ce qu’il préparait. Et en effet, il se retourna soudainement, le tisonnier en main, et revint à ses côtés. Son cri perça pour une énième fois le silence pesant et désagréable de la clairière, puis se tut brusquement. La prisonnière s’était évanouie, lui offrant un court repos, un dernier sursis. Comme pour le souligner, un corbeau croassa tout en tournoyant au-dessus de la maison. Son message était clair.

La mort arrive.

***

Un brin d’herbe sur la commissure des lèvres, les yeux plissés et concentrés, Dakaï était littéralement absorbée par la scène qui se déroulait non loin d’elle. Tout, dans ce décor, était enivrant; les grandes flambées qui montaient dans le ciel, projetant des tisons qui se mêlaient au étoiles, les diverses odeurs acres d’encens, de sueur et de bois brulé, les ombres constamment en mouvement des villageois, leurs danses étourdissantes, les chants bruyants et agréables à la fois…

Impatiemment, Dakaï dégagea une grande mèche de cheveux noir qui obstruait sa vue. Se faisant, elle observa pensivement ses longs doigts et sa peau couleur rouge à la lueur des flammes. Puis elle reporta son regard noir et perçant vers le rituel, tout en fronçant inconsciemment ses fins sourcils et en plissant les lèvres. Elle mâcha encore quelques instants une tige de blé saisie plus tôt, puis s’en débarrassa nonchalamment tout en cherchant du coin de l’œil l’Ancienne, le centre de ce rituel. C’était elle qui guidait la cérémonie et Dakaï, en tant qu’apprentis, devait observer la totalité de cette grande danse sans y prendre part. C’était frustrant, mais nécessaire.

L’Ancienne, essoufflée de danser depuis des heures sans arrêt alors qu’elle n’était plus dans la fleur de l’âge, appuya ses paumes contre ses cuisses tandis qu’elle essayait vainement de reprendre sa respiration et de faire ralentir les battements de son cœur. Elle laissa son regard brillant de sagesse et d’expérience voleter sur son entourage, remarquant chaque détail, aussi infime soit-il. Elle aperçut alors son apprentie, adossée à un arbre tout en mâchonnant rageusement du foin, et lui sourit avec complicité. Dakaï croisa son regard et lui rendit son sourire, même si il était quelque peu forcé. Un peu revigorée, l’Ancienne se releva, prête à continuer jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Mais soudainement, un malaise la saisit; incapable de respirer, elle sentit ses jambes trembler puis se dérober sous elle, incapable de la supporter plus longtemps. Son corps s’affaissa lourdement sur le sol, puis un voile noir lui couvrit les yeux.

Dakaï, de son poste d’observation, aperçu immédiatement la chute soudaine de son mentor. Avant même que le corps de l’Ancienne n’atteigne le sol, son apprentie courait déjà vers elle, ses grandes enjambées avalant l’espace. En moins de quelques secondes, elle arriva à ses côtés, évitant les grands feux et les villageois. Tout autour d’elle, le monde semblait tourner au ralenti. Agenouillée près de l’ancienne, elle pencha son fin visage d’adolescente vers celui, ridé par l’âge, de la vieille femme, ses grandes mèches noires effleurant sa peau. Elle observa un instant son mentor, puis se mordit la lèvre inférieure. Elle ne savait pas quoi faire. L’Ancienne était étendue au sol, les yeux grands ouverts vers le ciel étoilé; pourtant, l’on devinait facilement qu’elle voyait autre chose, quelque chose qu’elle seule avait le droit de voir.

Lentement, Dakaï se releva, tout en restant près du corps immobile de l’Ancienne, comme pour la protéger. Elle détacha son regard de la femme pour observer, tout autour d’elle, son peuple se rassembler en cercle autour de leur chef spirituel. Le silence était morbide, les feux semblaient mourir, les étoiles brillaient moins fort. Le vent se leva, envoyant des bourrasques comme pour pousser les gens à recommencer leurs danses. Mais personne ne bougea. Le rituel était terminé; l’enjeu était important. Un long moment, la jeune fille resta simplement debout près du corps inerte de la vieille femme. Puis, elle parla, détachant avec lenteur chacun de ses mots.

- Le rituel est terminé… Elle a une vision.

Un murmure parcourue l’assemblée, puis le silence revint et comme un seul homme, tout le peuple de Dakaï se dirigea vers leurs habitations personnelles. Contrairement à eux, la jeune fille s’agenouilla à nouveau près de l’Ancienne, le regard fixé dans le sien.

Dakaï attendait que son mentor revienne parmi les vivants.

L’Ancienne se perdit pendant quelques instants dans une obscurité complète. Puis, lentement, des taches de couleurs floues apparurent dans son champ de vision. Graduellement, elles devinrent plus grandes, plus précise; des visages se formèrent, des murmures se firent plus fort pour devenir des voix. Après quelques instants, une image complète apparut sous le regard attentif et perçant de la vieille femme.

Au départ, elle aperçut des scènes qui défilaient trop rapidement pour qu’elle les saisissent pleinement. Une éclipse solaire; un étalon qui se cabre; des hommes blancs, arme au poing; des flèches enflammées qui percent le ciel; une jeune fille qui coure sur une plage, la mer turquoise en arrière-plan… Une dernière image apparut un peu plus longtemps que les autres, tout en étant fugitive. Une jeune fille, la même qui courait sur la plage, était désormais pied et poing liés sur une vieille table de bois. Elle saignait de blessures multiples, le regard perdu, l’esprit désespéré. L’Ancienne sentit son cœur se serrer. Du coin de l’œil, elle aperçut un homme s’approcher d’elle, un sourire malfaisant sur le visage. Puis le noir se fit à nouveau.

Dakaï repoussa gentiment une mèche de cheveux blancs du front de son mentor. Au loin, les premières lueurs de l’aube naissaient lentement vers un nouveau jour. Reportant son regard vers la vieille femme, elle saisit une différence dans sa respiration. Son souffle se fit moins profond, plus rapide. Elle battit quelques fois des paupières, et regarda autour, étonnée. Comme quelqu’un qui se réveille d’un rêve, pensa Dakaï. Le regard de l’Ancienne se fixa finalement dans celui de la jeune fille, et un mince sourire qui se voulait rassurant se forma sur ses lèvres. Puis la vieille femme balbutia finalement quelques mots d’une voix âpre, comme si sa gorge était terriblement sèche.

- Dakaï… Tu as bien fait. Les Esprits nous ont entendus; j’ai eu ma vision. Mais notre protégée… n’a pas un destin facile devant elle. Elle aura besoin de ton aide.

Malgré tout le respect qu’elle vouait à son mentor, Dakaï avait besoin de savoir, et tout de suite.

- Mais comment? Et puis, quelle est la prophétie?

L’Ancienne lui offrit un sourire indulgent avant de continuer.

- Tu l’aideras en temps et lieux, Dakaï, ne t’en fait pas. Mais la prophétie, je peux te la révéler…

Le mentor inspira profondément et ferma ses yeux quelques instants avant de croiser à nouveau le regard de son apprentie. Lorsqu’elle parla, ce fut d’une autre voix, comme si quelqu’un d’autre parlait à travers sa bouche.

- Lorsque la lune cachera le soleil, celle aux yeux couleur de mer nous sauveras des hommes à la peau d’ivoire…

Le silence se fit, le vent tomba. La prophétie avait été mise en jeu.






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